On dit de la Nature qu’elle a horreur du vide, pourtant chaque chose qui compose le monde qui nous entoure est fait de ce mélange changeant qui nous anime, ce mélange de mémoires et d’oublis. Chaque matin, nous oublions la forme de notre visage de la veille, afin de toujours pouvoir nous reconnaître, malgré le temps qui passe. Ce vide est partout, dans toutes les décisions que nous n’avons pas prises, dans toutes les histoires, les visages que nous avons oubliés. Et si chaque geste efface ou remplace le précédent – il reste toujours une trace, une marque vide de cette absence. Ce sont les vestiges du passé qui transpirent dans les rues de nos villes, lors du passage des saisons, dans le reflet des maisons et les façades des immeubles.
L’espace est alors comme un vêtement qui prend sa forme lorsqu’on l’enfile, il s’incarne avec nous. Imaginer et produire une sculpture dans le cadre des Hortillonnages, c’est d’abord adresser le contexte – la responsa- bilité d’occuper, d’activer un espace. Il faut alors partir à la recherche des traces qui habitent la ville et les jardins – s’interroger sur ce qui manque – ce qui est délaissé, oublié : collectionner les objets sans usage, mobiliers cassés, perdus au fond d’un garage ou d’un grenier, antiques fragments d’architectures, porte, fenêtre, bastaing… mais aussi mémoires perdues – événements du passé disparus sans laisser la moindre trace.
En 1906, dans le Parc de la Hotoie, l’exposition coloniale présentait un « village sénégalais » – véritable zoo humain dont il ne reste aujourd’hui aucune trace. D’un jardin à l’autre, vient le temps de la sculpture : assembler ces fragments perdus du passé pour produire de l’espace – un nouveau lieu de mémoire local, la possibilité de mélanger les réalités : le contexte des Hortillonages – l’histoire coloniale de la ville d’Amiens, le Sénégal contemporain et leur trajectoire commune.
Stepwell – ici dessus, ici dessous, constituée de trois escaliers qui s’enlacent autour d’un impluvium fait de photographies de Dakar, évoque les reflets d’une ville dans les images d’une autre ville. Entre un objet et un espace, l’escalier devient un lieu en soi – on y monte ; dessous on s’y abrite, il guide le regard. Sur la petite île des Hortillonnages, faire place, rituel, ou passage…
L'artiste
Téo Bétin